• Les mathématiques plébiscitées malgré la fin des filières au lycée

    Les mathématiques plébiscitées malgré la fin des filières au lycée

     

             C’est l’heure du choix pour la première génération qui personnalisera son parcours. Mais certaines logiques d’orientation, comme la « voie royale » scientifique, prédominent.

     

    Par Mattea Battaglia et Camille Stromboni

    Le Monde du 23 avril 2019

     

    Deux choix de raison, un choix de cœur : voilà où en est Pablo, lycéen à Paris, dans sa réflexion sur son orientation en classe de 1re, en ce début de vacances de printemps. « J’y suis presque, confie-t-il, et sans trop de stress. » En septembre, cet élève de 2de au profil « plutôt littéraire » pense opter pour les spécialités « mathématiques » et « numérique et sciences informatiques » (NSI) – « du lourd, pour assurer mon avenir », explique le jeune homme, qui se voit bien travailler dans l’audiovisuel. Il complétera cette combinaison de matières par une touche d’histoire-géographie, « parce que ça me plaît et que j’ai envie de creuser ».

    L’heure du choix est venue pour cette première génération de lycéens qui expérimentent, à compter de septembre, la fin des filières (S, L et ES) dans la voie générale. A eux de personnaliser leur parcours en adossant à un « tronc commun » d’enseignements trois « spécialités » choisies parmi une douzaine en 1re – puis deux en terminale.

    Le gouvernement leur a promis un lycée apportant à la fois « plus d’approfondissement » et « plus de liberté ». « Faites-vous plaisir » : tel est le message adressé par Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation, aux lycéens. Mais le tableau en train de se dessiner montre qu’il n’est pas simple de remettre en jeu les logiques d’orientation. Au premier rang desquelles la prédominance de la filière scientifique érigée en « voie royale ».

    « Passage obligé »

    Pas moins de 70 % des élèves de 2de envisagent ainsi de prendre la « spé maths », selon les premières estimations du ministère de l’éducation, fondées sur les vœux de 280 000 élèves issus de 1 335 lycées publics (soit près du tiers de cette classe d’âge). Ils sont aussi plus d’un sur deux à opter pour les sciences de la vie et de la Terre et la physique-chimie (respectivement 52,2 % et 50,1 %).

    A écouter les lycéens, ce choix des maths se justifie diversement. « Non seulement j’aime ça, mais j’en ai besoin si je veux travailler plus tard dans l’aéronautique », explique Nathan, en 2de à Paris, qui a aussi opté pour la physique-chimie. Pour Maëlis, lycéenne à Versailles, « être bonne en maths » a compté ; « et ça m’emmènera forcément quelque part », estime-t-elle. D’autres y voient un « passage obligé », reprenant à leur compte les conseils de leurs enseignants qui n’ont pas fini de s’émouvoir de la disparition des mathématiques du tronc commun (des notions de maths seront intégrées à un enseignement scientifique proposé à tous). « Arrêter les maths à la fin de la 2de, même quand on n’est pas un matheux, ça fait un peu peur, reprend Pablo. On a le sentiment de se fermer des portes. »

    « Les maths, ce n’est presque pas un choix : c’est un prérequis pour poursuivre des études », argumente Jehane. Cette lycéenne en Seine-Saint-Denis a déjà finalisé son choix, et il implique d’aller toquer à la porte d’un nouveau lycée : la spécialité « humanités, littérature et philosophie », que cette adolescente veut suivre « à tout prix » (en plus des maths et de la physique-chimie), n’est pas enseignée dans l’établissement où elle étudie. « J’ai essayé d’appliquer une recette rassurante, ne sachant pas trop ce que je veux faire plus tard : prendre deux enseignements scientifiques “costauds” et un pour le plaisir », explique-t-elle.

    Rien de surprenant à ce que des « démarches stratégiques » se perpétuent, observe la sociologue Anne-Claudine Oller. « Quand on a un projet professionnel peu défini, comme c’est le cas de beaucoup de jeunes à 15-16 ans, on essaie de rester dans une grille d’orientation la plus large possible, décrit la maîtresse de conférences en sciences de l’éducation à l’université Paris-Est-Créteil. Or, dans l’esprit des parents et des enseignants, la filière S mène à tout, donc ils la reproduisent. » La mise en place des nouvelles règles à l’entrée de l’université, sur la plate-forme Parcoursup, pousse aussi à privilégier la « sécurité » et la « cohérence », ajoute-t-elle.

    « Surchoix » des maths

    Ce « surchoix » des maths, comme disent déjà les observateurs de l’école, est-il le signe que la réforme du lycée passe à côté de ses objectifs affichés ? C’est en tout cas la lecture qu’en a donnée le syndicat SNES-FSU dans son enquête portant sur 4 000 lycéens diffusée le 18 avril : il assure que la « hiérarchie des filières fait place à une hiérarchie des spécialités ». Pour le syndicat majoritaire dans le secondaire, le « lycée Blanquer » – auquel il s’oppose – ne remet pas en question la « domination quantitative de la série S », pas plus que les « inégalités sociales » ou « de genre » dans les parcours scolaires.

    Au ministère de l’éducation, on défend une tout autre lecture de la situation, en rappelant que les choix d’orientation ne seront définitifs qu’en juin. « Les enseignements scientifiques sont plébiscités par les élèves », reconnaît Jean-Marc Huart, directeur général de l’enseignement scolaire, mais le « gain en attractivité » des autres disciplines est lui aussi important. La preuve par les chiffres : les sciences économiques et sociales, réservées jusqu’à présent aux 100 000 élèves de la série ES, sont déjà demandées par presque 150 000 élèves ; la spécialité « humanités, littérature et philosophie », par 72 000 lycéens, alors que la série littéraire regroupe aujourd’hui 45 000 des élèves inscrits en filière générale.

    « Si la réforme reproduisait la série S, les combinaisons strictement scientifiques seraient à hauteur des 53 % d’élèves actuellement inscrits en 1re S, insiste M. Huart. Or ces combinaisons strictement scientifiques ne représentent, selon nos remontées provisoires, que le tiers des demandes. » Le SNES-FSU, lui, les a chiffrées à plus de la moitié, sur un panel d’élèves toutefois inférieur à celui du ministère.

    Au-delà de la querelle autour de la « voie royale » reste, pour les lycéens, la difficulté à raisonner en faisant fi des filières actuelles. Sajetan, lycéen parisien qui se verrait bien « médecin », le dit spontanément : « Je me dirige vers une 1re S. » Idem d’Agathe, qui étudie en Seine-Saint-Denis : « J’ai fait en sorte de reconstituer un bac ES en assemblant les spé maths, sciences économiques et sociales et histoire-géo. » « Je suis un peu juste en sciences », confie Régis, élève à Tours, qui a abandonné son « rêve d’aller en S » au profit d’une « triplette ES ». « J’ai réfléchi avec mes profs et avec mes parents aux combinaisons possibles, et je suis rassuré : ce n’est finalement pas si compliqué que ça de reconstituer les séries », estime l’adolescent.

    D’autres ont dû faire avec les « contraintes pratiques » : plus de neuf lycées sur dix, d’après le ministère, parviennent à proposer à leurs élèves au moins sept enseignements de spécialité. Pour certains lycéens, le choix de l’établissement intervient donc aussi dans l’équation. « C’est sûr qu’il y a des établissements où l’offre est plus large, d’autres moins… Mais est-ce si différent qu’avant ? », interroge Agathe, lycéenne en Seine-Saint-Denis, dont quatre camarades doivent changer de lycée pour obtenir l’orientation de leur choix. Emma, scolarisée dans le privé à Paris, fait état d’une autre contrainte : la cohérence des emplois du temps. « Quand les créneaux horaires des spécialités se chevauchent, il faut bien privilégier la faisabilité », glisse la jeune fille.

    Missionné par Jean-Michel Blanquer pour préparer la réforme du lycée et du baccalauréat, l’universitaire Pierre Mathiot a passé en revue les premières remontées ministérielles. Pour lui, un peu plus de la moitié des vœux émis par les lycéens reprennent les combinaisons des anciennes séries. La moitié, dans le même temps, s’émancipent de ce cadre. « C’est déjà un vrai changement pour cette première année d’application », se réjouit-il.

     

    Source : https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/04/23/reforme-du-lycee-les-maths-restent-plebiscitees_5453647_3224.html

     


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