• Les mathématiques plébiscitées malgré la fin des filières au lycée

     

             C’est l’heure du choix pour la première génération qui personnalisera son parcours. Mais certaines logiques d’orientation, comme la « voie royale » scientifique, prédominent.

     

    Par Mattea Battaglia et Camille Stromboni

    Le Monde du 23 avril 2019

     

    Deux choix de raison, un choix de cœur : voilà où en est Pablo, lycéen à Paris, dans sa réflexion sur son orientation en classe de 1re, en ce début de vacances de printemps. « J’y suis presque, confie-t-il, et sans trop de stress. » En septembre, cet élève de 2de au profil « plutôt littéraire » pense opter pour les spécialités « mathématiques » et « numérique et sciences informatiques » (NSI) – « du lourd, pour assurer mon avenir », explique le jeune homme, qui se voit bien travailler dans l’audiovisuel. Il complétera cette combinaison de matières par une touche d’histoire-géographie, « parce que ça me plaît et que j’ai envie de creuser ».

    L’heure du choix est venue pour cette première génération de lycéens qui expérimentent, à compter de septembre, la fin des filières (S, L et ES) dans la voie générale. A eux de personnaliser leur parcours en adossant à un « tronc commun » d’enseignements trois « spécialités » choisies parmi une douzaine en 1re – puis deux en terminale.

    Le gouvernement leur a promis un lycée apportant à la fois « plus d’approfondissement » et « plus de liberté ». « Faites-vous plaisir » : tel est le message adressé par Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation, aux lycéens. Mais le tableau en train de se dessiner montre qu’il n’est pas simple de remettre en jeu les logiques d’orientation. Au premier rang desquelles la prédominance de la filière scientifique érigée en « voie royale ».

    « Passage obligé »

    Pas moins de 70 % des élèves de 2de envisagent ainsi de prendre la « spé maths », selon les premières estimations du ministère de l’éducation, fondées sur les vœux de 280 000 élèves issus de 1 335 lycées publics (soit près du tiers de cette classe d’âge). Ils sont aussi plus d’un sur deux à opter pour les sciences de la vie et de la Terre et la physique-chimie (respectivement 52,2 % et 50,1 %).

    A écouter les lycéens, ce choix des maths se justifie diversement. « Non seulement j’aime ça, mais j’en ai besoin si je veux travailler plus tard dans l’aéronautique », explique Nathan, en 2de à Paris, qui a aussi opté pour la physique-chimie. Pour Maëlis, lycéenne à Versailles, « être bonne en maths » a compté ; « et ça m’emmènera forcément quelque part », estime-t-elle. D’autres y voient un « passage obligé », reprenant à leur compte les conseils de leurs enseignants qui n’ont pas fini de s’émouvoir de la disparition des mathématiques du tronc commun (des notions de maths seront intégrées à un enseignement scientifique proposé à tous). « Arrêter les maths à la fin de la 2de, même quand on n’est pas un matheux, ça fait un peu peur, reprend Pablo. On a le sentiment de se fermer des portes. »

    « Les maths, ce n’est presque pas un choix : c’est un prérequis pour poursuivre des études », argumente Jehane. Cette lycéenne en Seine-Saint-Denis a déjà finalisé son choix, et il implique d’aller toquer à la porte d’un nouveau lycée : la spécialité « humanités, littérature et philosophie », que cette adolescente veut suivre « à tout prix » (en plus des maths et de la physique-chimie), n’est pas enseignée dans l’établissement où elle étudie. « J’ai essayé d’appliquer une recette rassurante, ne sachant pas trop ce que je veux faire plus tard : prendre deux enseignements scientifiques “costauds” et un pour le plaisir », explique-t-elle.

    Rien de surprenant à ce que des « démarches stratégiques » se perpétuent, observe la sociologue Anne-Claudine Oller. « Quand on a un projet professionnel peu défini, comme c’est le cas de beaucoup de jeunes à 15-16 ans, on essaie de rester dans une grille d’orientation la plus large possible, décrit la maîtresse de conférences en sciences de l’éducation à l’université Paris-Est-Créteil. Or, dans l’esprit des parents et des enseignants, la filière S mène à tout, donc ils la reproduisent. » La mise en place des nouvelles règles à l’entrée de l’université, sur la plate-forme Parcoursup, pousse aussi à privilégier la « sécurité » et la « cohérence », ajoute-t-elle.

    « Surchoix » des maths

    Ce « surchoix » des maths, comme disent déjà les observateurs de l’école, est-il le signe que la réforme du lycée passe à côté de ses objectifs affichés ? C’est en tout cas la lecture qu’en a donnée le syndicat SNES-FSU dans son enquête portant sur 4 000 lycéens diffusée le 18 avril : il assure que la « hiérarchie des filières fait place à une hiérarchie des spécialités ». Pour le syndicat majoritaire dans le secondaire, le « lycée Blanquer » – auquel il s’oppose – ne remet pas en question la « domination quantitative de la série S », pas plus que les « inégalités sociales » ou « de genre » dans les parcours scolaires.

    Au ministère de l’éducation, on défend une tout autre lecture de la situation, en rappelant que les choix d’orientation ne seront définitifs qu’en juin. « Les enseignements scientifiques sont plébiscités par les élèves », reconnaît Jean-Marc Huart, directeur général de l’enseignement scolaire, mais le « gain en attractivité » des autres disciplines est lui aussi important. La preuve par les chiffres : les sciences économiques et sociales, réservées jusqu’à présent aux 100 000 élèves de la série ES, sont déjà demandées par presque 150 000 élèves ; la spécialité « humanités, littérature et philosophie », par 72 000 lycéens, alors que la série littéraire regroupe aujourd’hui 45 000 des élèves inscrits en filière générale.

    « Si la réforme reproduisait la série S, les combinaisons strictement scientifiques seraient à hauteur des 53 % d’élèves actuellement inscrits en 1re S, insiste M. Huart. Or ces combinaisons strictement scientifiques ne représentent, selon nos remontées provisoires, que le tiers des demandes. » Le SNES-FSU, lui, les a chiffrées à plus de la moitié, sur un panel d’élèves toutefois inférieur à celui du ministère.

    Au-delà de la querelle autour de la « voie royale » reste, pour les lycéens, la difficulté à raisonner en faisant fi des filières actuelles. Sajetan, lycéen parisien qui se verrait bien « médecin », le dit spontanément : « Je me dirige vers une 1re S. » Idem d’Agathe, qui étudie en Seine-Saint-Denis : « J’ai fait en sorte de reconstituer un bac ES en assemblant les spé maths, sciences économiques et sociales et histoire-géo. » « Je suis un peu juste en sciences », confie Régis, élève à Tours, qui a abandonné son « rêve d’aller en S » au profit d’une « triplette ES ». « J’ai réfléchi avec mes profs et avec mes parents aux combinaisons possibles, et je suis rassuré : ce n’est finalement pas si compliqué que ça de reconstituer les séries », estime l’adolescent.

    D’autres ont dû faire avec les « contraintes pratiques » : plus de neuf lycées sur dix, d’après le ministère, parviennent à proposer à leurs élèves au moins sept enseignements de spécialité. Pour certains lycéens, le choix de l’établissement intervient donc aussi dans l’équation. « C’est sûr qu’il y a des établissements où l’offre est plus large, d’autres moins… Mais est-ce si différent qu’avant ? », interroge Agathe, lycéenne en Seine-Saint-Denis, dont quatre camarades doivent changer de lycée pour obtenir l’orientation de leur choix. Emma, scolarisée dans le privé à Paris, fait état d’une autre contrainte : la cohérence des emplois du temps. « Quand les créneaux horaires des spécialités se chevauchent, il faut bien privilégier la faisabilité », glisse la jeune fille.

    Missionné par Jean-Michel Blanquer pour préparer la réforme du lycée et du baccalauréat, l’universitaire Pierre Mathiot a passé en revue les premières remontées ministérielles. Pour lui, un peu plus de la moitié des vœux émis par les lycéens reprennent les combinaisons des anciennes séries. La moitié, dans le même temps, s’émancipent de ce cadre. « C’est déjà un vrai changement pour cette première année d’application », se réjouit-il.

     

    Source : https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/04/23/reforme-du-lycee-les-maths-restent-plebiscitees_5453647_3224.html

     


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    Fact-checking Réforme du lycée : le vrai/faux de Jean-Michel Blanquer Face aux critiques des enseignants et aux inquiétudes des parents, le ministre de l’Education nationale vante les mérites de la nouvelle organisation… Quitte à s’arranger parfois avec les faits.
     
     
    Eva Mignot - Alternatives économiques du 11/04/2019
     
     
    Impopulaire auprès des syndicats, la réforme du lycée inquiète élèves et parents. L’instauration de « spécialités » choisies par les élèves en première et terminale fait voler en éclat les anciennes filières et bouleverse les habitudes. Le ministre de l’Education nationale cherche à rassurer en multipliant les prises de parole dans les médias. Mais en jouant sur les mots, Jean-Michel Blanquer se permet de brouiller les pistes. Alternatives Economiques a relevé plusieurs incohérences du ministre, qu’il a notamment répétées au micro de France Inter fin mars.
     
     

     

    Il a dit : « La réforme ne conduit pas à une pré-orientation. »

    PAS TOUT À FAIT VRAI. Le ministre laisse penser que les trois choix de spécialités en première n’auront pas d’incidence sur la poursuite d’études. D’ailleurs, sur le site Quand je passe le bac mis en place par l’Education nationale, il est indiqué qu’« une formation de l’enseignement supérieur ne peut pas exiger un enseignement de spécialité en particulier. »

    Mais dans les faits, certains établissements refuseront des candidats dont le profil ne correspondra pas à leurs attentes. Ce sera notamment le cas des classes préparatoires scientifiques, qui ne peuvent se dispenser d’acquis solides en mathématiques, voire en physique. Si une combinaison de spécialités ne déterminera pas les études que vous suivrez, elle pourrait cependant vous fermer certaines portes.



    Il a dit : « Les élèves ont la possibilité de changer de spécialité entre la première et la terminale. »

    CELA RELÈVERA DE L’EXCEPTION. En affirmant que les choix des élèves sont réversibles, Jean-Michel Blanquer cherche à rassurer. Mais, comme il est peu courant de changer de filière aujourd’hui et de passer, par exemple, de première ES en terminale S, le changement de spécialité s’avérera difficile, même impossible. D’autant plus que les élèves doivent déjà abandonner l’une de leurs spécialités entre les deux niveaux (ils en suivent trois en première et deux en terminale).

    Ce changement d’enseignement sera conditionné tout d’abord aux contraintes de places : les élèves ayant suivi la spécialité en première seront quoi qu’il en soit prioritaires sur les autres. Et surtout, la démarche doit être acceptée par l’établissement. « A titre exceptionnel, le choix en classe de terminale d’un enseignement de spécialité différent de ceux choisis en classe de première est possible à la demande de l’élève et sur décision du chef d’établissement, après avis du conseil de classe en fin d’année de première », relève le bulletin officiel de l’Education nationale du 5 septembre 2018.

    Cela demandera une certaine organisation de la part des établissements alors que la réforme est déjà un vrai casse-tête en termes d’emploi du temps. En outre, mettre en place une remise à niveau des élèves serait, pour les lycées, encore plus contraignant.

     

    Il a dit : « Les mathématiques sont la seule discipline que l’on trouve aux trois étages de la réforme : vous avez un peu de mathématiques dans le tronc commun, au travers de l’enseignement scientifique. Ensuite, vous avez l’enseignement de spécialité, exigeant. Et vous avez en troisième lieu, dans les options, “maths complémentaires” pour ceux qui ne font pas de spécialité en maths et “maths expertes” pour ceux qui veulent approfondir. Ce n’est pas tout ou rien. »

     

     

    VRAI MAIS… Comme le dit le ministre lui-même, il n’y a vraiment que peu de mathématiques dans le tronc commun. L’enseignement scientifique est essentiellement composé de physique-chimie et de sciences de la vie et de la Terre. Il est même improbable que les professeurs de mathématiques viennent y dispenser quelques heures d’enseignement.

    Par ailleurs, pour suivre l’option « mathématiques complémentaires », uniquement disponible en terminale, il est fortement recommandé d’avoir choisi la spécialité en première : ces élèves seront prioritaires. Or, les places risquent là encore d’être limitées…

    Il se pourrait même, contrairement à ce que laisse entendre le ministère, que seuls les élèves ayant suivi la spécialité mathématiques en première puissent sélectionner l’option. L’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public a rencontré en mars dernier le conseiller en charge des affaires pédagogiques, qui leur a confirmé que c’était le message qu’il avait rappelé aux recteurs.



    Il a dit : « Les spécialités donnent la possibilité d’aller plus loin. C’est pour cette raison que les programmes sont plus exigeants. »

    GLOBALEMENT VRAI. C’est notamment le cas pour la spécialité « mathématiques », considérée comme assez ambitieuse. Ce qui n’est d’ailleurs pas sans inquiéter les professeurs. En effet, le programme est aussi poussé, voire davantage, que celui de première S actuellement. Or, de nombreux élèves vont choisir cette discipline non parce qu’ils l’apprécient ou qu’ils la maîtrisent, mais parce qu’elle peut être essentielle pour leurs études. Si certains peuvent être motivés et chercher à s’accrocher, d’autres risquent fort d’être laissés sur la touche.


    Il a dit : « Plus de 90 % des lycées proposeront au moins 7 spécialités […]. Il y a une offre beaucoup plus riche. Un lycéen de la voie générale avait, jusqu’à l’année dernière, le choix entre trois séries. Désormais il y aura une vingtaine, voire une trentaine de combinaisons possibles. »

    EXAGÉRÉ. Sans conteste, comme l’assure Jean-Michel Blanquer, l’offre d’enseignements sera plus riche. Avec 3 spécialités à choisir parmi 7 proposées, 35 combinaisons de parcours sont effectivement possibles. Du moins théoriquement.

    Dans les faits, pour des raisons d’organisation des emplois du temps, plusieurs établissements limiteront certainement les choix des élèves en proposant des « menus » préalablement établis et ce, en dépit des consignes contraires du ministère de l’Education nationale. Au lieu de laisser les élèves sélectionner leurs disciplines parmi celles proposées, les lycées mettront en avant des combinaisons de matières. Les cocktails originaux tels que arts-mathématiques-langues anciennes ou encore physique-littérature-sciences économiques et sociales ne seront ainsi pas possibles partout.

    Par ailleurs, si l’on regarde l’offre effectivement proposée dans chacun des lycées de France, la proportion d’établissements offrant les 7 spécialités est plus proche des 80 % que des 90 %.



    Il a dit : « S’il y a la spécialité “sciences de l’ingénieur” dans un lycée à quelques centaines de mètres ou à un ou deux kilomètres dans la ville, il est possible de la suivre là-bas. »

    C’EST PLUS COMPLIQUÉ. L’Education nationale signale qu’un élève peut changer d’établissement ou suivre l’enseignement souhaité dans un autre lycée s’il n’est pas proposé là où il est inscrit. Mais ce sera loin d’être systématique, même plutôt rare. Il faut tout d’abord que les lycées concernés passent un accord de mutualisation de spécialité. Et surtout, il doit rester des places dans ces classes : or, celles-ci seront limitées par les moyens de chaque établissement et le fait que les élèves extérieurs ne seront pas prioritaires.


    Il a dit : « Le sujet n’est pas tellement les moyens supplémentaires que la manière intelligente de les répartir […]. Jusqu’à aujourd’hui, vous aviez des classes de S à 35 et des classes de L à 15. Ce n’est pas raisonnable. C’est le genre de choses qui vont changer. »

    VRAI… MAIS PAS FORCÉMENT RASSURANT ! Les classes seront certainement plus équilibrées. Mais le nombre moyen d’élève se rapprochera davantage de 35 que de 15 ! Les établissements devront diviser leurs effectifs de chaque niveau par 35 (effectif maximum d’une classe fixé par la réforme) pour connaître le nombre de classes. Les 16 heures de tronc commun devraient se dérouler avec un effectif important, en particulier dans les grands lycées, car l’effet de seuil sera faible : si la présence de quelques élèves supplémentaires obligent à la création d’une classe supplémentaire, cela ne fera diminuer l’effectif moyen par classe que de deux ou trois élèves.

    Tout se complique encore lorsque sont prises en compte les trois spécialités choisies par chaque lycéen. Le nombre d’heures de spécialités allouées correspondra au triple du nombre de groupes de 35 élèves constitués à partir des effectifs globaux de première. Or, cela a toutes les chances d’être insuffisant : cela suppose, à peu de choses près, que les élèves de chaque groupe choisissent les mêmes disciplines. Toute spécialité qui s’ouvrira en plus sera alors financée sur une « marge », dont dispose chaque établissement, à hauteur de 8 heures par semaine et par groupe de 35 lycéens en première et terminale. Mais c’est également sur cette marge que doivent être prises les heures consacrées à divers dispositifs spécifiques…

    Prenons un exemple : un lycée accueillant 140 élèves de niveau première sera doté à hauteur de 12 groupes de spécialités (4 classes × 3 spécialités). Si, du fait des choix des lycéens, l’établissement doit finalement ouvrir 17 groupes de spécialité, il devra en financer 5, soit 20 heures (5 × 4 heures de spécialité) sur sa marge de 32 heures (8 heures × 4 classes de 35 élèves). Il ne restera alors que 12 heures pour dédoubler les classes (difficile de privilégier l’oral en cours de langue à 35 élèves !), ajouter de l’accompagnement personnalisé, aider les élèves dans leur orientation et assurer parallèlement les horaires des options facultatives…

    Inévitablement, l’étendue de la palette de choix des enseignements de spécialité se fera donc au détriment des conditions générales d’enseignement. Pas sûr que les élèves soient gagnants !

     

    Source : https://www.alternatives-economiques.fr/reforme-lycee-vraifaux-de-jean-michel-blanquer/00088943?utm_source=social&utm_medium=facebook&utm_campaign=BoostArt%2FVFBlanquer%2F190411&fbclid=IwAR2jUeziRgCnIVgcmnu7Onvp_jKw8ehqy-2S83JGcJc2dy8-Ykapdz4I238

     
     

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  • Dans certains lycées, on manifeste contre les réformes « Blanquer » en distribuant des 20/20Cette méthode ne plaît pas à certains lycéens et parents, qui s’inquiètent des conséquences potentielles de la manipulation.

     

    Violaine Morin le 4/04/2019

     

    « Dans l’éducation nationale, si on ne touche pas aux notes, il ne se passe jamais rien », lâche une enseignante du collectif des lycées des Deux-Sèvres, un regroupement d’enseignants contre la réforme du lycée.

    Alors qu’avait lieu, jeudi 4 avril, une journée de mobilisation contre la loi Blanquer, particulièrement suivie dans les écoles primaires, les enseignants du second degré s’organisent également pour mener des actions perlées contre les réformes du lycée et du bac. Plutôt que d’organiser une grève « qui coûte cher » et « ne fait réagir personne », ils sont de plus en plus nombreux à choisir le biais des notes pour alerter les parents d’élèves et l’opinion.

    Au lycée Corot de Savigny-sur-Orge (Essonne), Emilie (la plupart des enseignants interrogés ont requis l’anonymat) raconte avoir mis 19/20 de moyenne à ses élèves de seconde et de première sur les bulletins du deuxième trimestre. « Nous avons mis la vraie moyenne dans les appréciations, pour que les élèves et leurs parents puissent apprécier leur progression », explique-t-elle cependant.

    Sylvain Lagarde, responsable syndical du SNES dans l’académie de Toulouse, rapporte que le même principe a été appliqué « par une majorité de professeurs » au lycée Bourdelle de Montauban et, dans une moindre mesure, au lycée Clémence-Royer de Fonsorbes (Haute-Garonne) ou encore au lycée Saint-Exupéry de Blagnac (Haute-Garonne). Dans ces trois cas, « la direction de l’établissement a repris la main sur le logiciel et rétabli les notes justes », que les enseignants prennent soin de conserver.

     

    Bac blanc « partiellement boycotté »

    Dans certains établissements, les notes ont été « faussées », y compris pour les terminales. Les lycéens, qui devaient finaliser leur dossier sur la plate-forme Parcoursup avant le 3 avril à 23 h 59, s’inquiètent des conséquences de cette manipulation sur la sélection. Le ministère de l’enseignement supérieur assure cependant avoir « sensibilisé les recteurs sur les rappels à faire aux enseignants », de sorte que « le processus de remontée des notes des fiches Avenir dans Parcoursup s’est déroulé comme convenu ».

    « Ces rectifications par la hiérarchie rendent très difficile la quantification du phénomène », souligne Sylvain Lagarde. De l’avis général, dans les rangs syndicaux comme du côté de l’institution, le recours aux « fausses notes » reste minoritaire, de même que le boycottage d’épreuves blanches ou d’épreuves anticipées, autre moyen de contestation. Au lycée Prévert de Longjumeau (Essonne), on a choisi le « boycottage du bac blanc », une méthode à la fois fortement symbolique et peu risquée, puisque les enseignants ne sont pas tenus de l’organiser.

    Au lycée du Haut Val de Sèvre, à Saint-Maixent-l’Ecole (Deux-Sèvres), le bac blanc a été « partiellement boycotté », certains enseignants ayant organisé des devoirs type bac malgré tout. Au lycée Maupassant de Colombes (Hauts-de-Seine), une enseignante raconte que des oraux de TPE ont été reportés pour cause de grève, et des épreuves anticipées de langue du baccalauréat notées 20/20. Mais les véritables notes ont été conservées.

     

    « Faire réagir » sans pénaliser les élèves

    Les professeurs affirment en chœur leur volonté de « faire réagir » sans pénaliser leurs élèves. Quitte à abandonner, si leur action porte ses fruits. « Une fois passés les premiers conseils de classe où l’on mettait 20/20 de moyenne à tous, les parents ont réalisé qu’il se passait quelque chose d’important et sont venus échanger avec nous sur la réforme », raconte un enseignant du lycée Prévert de Longjumeau. « L’action ayant été suivie d’effet, nous avons préféré abandonner la méthode. Il reste difficile de ne pas mettre sa véritable moyenne à un élève qui s’est investi. »

    Du côté des parents, les réactions sont en effet mitigées, entre crainte d’être pénalisés par les nouvelles méthodes de contestation et soutien aux enseignants en lutte. « Les notes faussées sont difficiles à vivre pour les élèves et leurs parents », souligne Samuel Cywie, porte-parole de la PEEP. « Pour ceux qui sont concernés par Parcoursup, cela génère beaucoup d’inquiétude, les enseignants doivent prendre leurs responsabilités. »

    « En un sens, c’est irresponsable de traiter les enseignants d’irresponsables », s’amuse pour sa part Rodrigo Arenas, président de la FCPE. « Les parents s’inquiètent du boycottage des notes, peut-être, mais ils s’inquiètent encore plus de la réforme elle-même. » Quant au ministère de l’éducation nationale, il renvoie aux obligations réglementaires des enseignants, qui sont tenus de mener à bien les évaluations.

     

    Source : https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/04/04/dans-certains-lycees-la-contestation-de-la-reforme-passe-par-une-distribution-de-20-20_5445699_3224.html?fbclid=IwAR0n2M3YDj43-vbiDlR8tlh4dZRRcBgb318pabjf8nfAX5guit_z3j8435E

     


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  • Parcoursup. Pourquoi faut-il payer pour faire certains vœux de formation ?Il reste deux jours aux futurs bacheliers pour finaliser leurs dossiers de candidature sur la plateforme d’inscription post-bac. À cette occasion, des familles découvrent que certaines écoles, même publiques, exigent de sortir le chéquier, simplement pour candidater.

     

    Avant ce mercredi 3 avril à 23 h 59, les futurs bacheliers et les étudiants en réorientation doivent finaliser leur dossier sur Parcoursup pour candidater dans les formations du supérieur qu’ils souhaitent intégrer en septembre. Cette étape de validation est importante, car si les vœux saisis sur la plateforme ne sont pas validés, ils ne seront pas transmis aux établissements.

    Les réponses seront envoyées aux candidats à partir du 15 mai. Pour cette deuxième année d’utilisation de Parcoursup, des nouveautés ont été apportées afin de réduire le temps d’attente des candidats.

     

    Confirmer sa liste de vœux finale

    Les candidats ont pu émettre dix vœux de formation, associés à 20 sous-voeux possibles (une même formation, plusieurs lieux). Pour chacun, ils doivent vérifier avant mercredi que chaque vœu est bien motivé, qu’ils ont indiqué leur préférence, que les bulletins scolaires et la fiche Avenir fournis par leur lycée sont bien renseignés dans leur dossier…

    Et qu’ils ont bien envoyé les éléments spécifiques demandés par chaque formation. Comme, par exemple, l’acquittement de frais de candidature. Un budget souvent ignoré des familles. À l’image de cette mère de lycéenne près de Lorient (Morbihan), qui n’en revient pas : « Il faut payer 37 € par vœu en école nationale supérieure d’architecture ! »

     

    Un budget à prévoir

    Elle épaule sa fille, en terminale S, dans ses démarches sur la plateforme Parcoursup et ne s’attendait pas à débourser de telles sommes. Certes, les élèves boursiers en sont exonérés, mais ce n’est pas son cas… 37 € multipliés par dix vœux, cela fait un budget. Et encore, si elle se borne aux écoles nationales d’architecture publiques. « L’université technologique de Compiègne demande 95 €. Du coup, ma fille n’a pas émis de vœu. » Car la lycéenne n’a aucune garantie d’être retenue.

     

    L’égalité des chances mise à mal

    Elle a mené sa propre enquête afin de savoir pourquoi de telles sommes sont demandées, en précisant que l’accès à Parcoursup est bel et bien gratuit : « Ce n’est pas du fait de l’outil mais bien du fait des écoles d’architecture qui, émettent ainsi des frais administratifs et récoltent l’argent. » L’Ensab (école nationale supérieure d’architecture de Bretagne) explique, par exemple, sur son site que la somme sert à une première étude des demandes de pré-inscription, qui repose sur l’examen des dossiers scolaires et de la lettre de motivation par une commission ad hoc.

    « On prône l’égalité des chances ? Plus vous avez de l’argent, plus vous pouvez émettre de vœux et donc multiplier les chances de réaliser le rêve de votre enfant, proteste-t-elle. Tout est bon pour racketter les familles ! Au final, vous pouvez perdre une importante somme, qui peut, elle, servir à payer un logement ou à se défaire des frais d’inscription dans ces mêmes écoles d’architecture. »

     

    Entre 30 et 200 € de frais

    Selon les établissements, ces frais de candidature vont de 30 à 200 €. Rien à voir avec les frais d’inscription dont il faudra s’acquitter si le candidat est reçu. Les frais exigés à cette étape sont affectés au traitement administratif des dossiers ou des concours d’admission.

    Ils sont surtout demandés par des lycées privés pour des classes préparatoires ou des écoles privées d’art, de commerce ou d’ingénieurs (par exemple, pour les banques d’épreuves qui permettent de candidater à plusieurs écoles à partir d’un seul concours, comme le concours Avenir ou Sésame). Mais aussi - et c’est moins connu - par quelques organismes publics, comme les écoles nationales d’architecture ou les écoles d’ingénieurs du réseau Insa.

     

    « On doit cet effort de transparence aux familles »

    « Les frais de gestion de dossier existent depuis longtemps, mais avec la multiplication des vœux sur Parcoursup, cette question devient centrale chez les familles », constate Bruno Magliulo, ancien inspecteur académique et auteur de SOS Parcoursup (Éditions L’Étudiant).

    Ce spécialiste de l’orientation conseille de consulter les sites de chaque formation, car elles appliquent toutes des règles différentes. Même si c’est plus rare, certaines remboursent tout ou partie des montants avancés en cas de maladie, déménagement, renoncement dans la phase de validation…

    Quoi qu’il en soit, Bruno Magliulo reconnaît que « ces frais devraient figurer sur Parcoursup dans la fiche de présentation des établissements » et a prévu de faire remonter cette demande au ministère. « On doit cet effort de transparence aux familles. »

     

                                                                    Loïc TISSOT et Laetitia HELARY

     

    Ouest-France en ligne du 2/04/2019

     

    Source : https://www.ouest-france.fr/education/etudiant/parcoursup/parcoursup-pourquoi-faut-il-payer-pour-faire-certains-voeux-de-formation-6287895

     


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  • Comprendre les causes du désastre du lycée général de Blanquer

     

     

     

     

    20 mars 2019 - Par Viviane Micaud, militante de la société civile

    Le blog de Viviane Micaud

     

    Blanquer a lancé une réforme du lycée général en promettant un lycée modulaire avec un choix étendu et une orientation progressive. Fiasco. Cette promesse n’était ni une solution pour les problèmes réels ou ressentis du lycée, ni réalisable. En revanche, la réforme rajoute du stress et renforce les biais sociaux et territoriaux et va conduire à terme à une destruction du potentiel technologique

     

    La réforme du lycée est un désastre. De mensonges en mensonges sur la réalité des possibilités de choix des élèves, la vérité crue est arrivée dans une note de la Dgesco en date du 6 mars 2019 sur « le traitement des choix des enseignements de spécialité en 1ère générale ».  Cette note est décrite dans un article du café pédagogique et des extraits de la note ont été diffusés sur tweeter. " Vous aurez la liberté de choisir en suivant vos goûts et vos centres d'intérêts" avait promis Blanquer. Comme le résume très bien le café pédagogique « Le principe du libre choix des élèves est en fait cadré par une règle bien plus forte : la gestion administrative. Les élèves ne sont libres de choisir que dans les spécialités que l'administration veut bien leur offrir et s'ils le méritent par leurs notes. » 

    http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2019//11032019Article636878872313563017.aspx

    Ce qui est dramatique est que toutes celles et tous ceux qui avaient déjà construit un emploi du temps avec des contraintes réelles le savaient depuis le premier jour, et il y a eu un déni organisé. Les syndicats ont imposé une omerta sur ce point. Il convient de s’interroger sur les motivations de chacune de ces organisations.

    Par ailleurs, la réforme est basée sur le « dogme de l’orientation progressive dans son silo » (ou architecture en entonnoir), alors que les sociologues ont prouvé que ce dogme est incohérent avec les mécanismes de construction des représentations du monde et de soi des jeunes. Les représentations en cause sont la représentation du monde des adultes, la représentation du monde du travail là où on a envie de s'investir, la représentation de soi dans le monde des adultes et du travail. Il s’agit de fondamentaux de psychologie humaine qui sont niés et remplacés par une « solution magique » évidemment inadaptée mais imposée comme vraie.

    Aujourd’hui, il n’y a qu’une solution qui préserve l’avenir du pays : Annuler la réforme du lycée général. Parce que, outre rajouter des biais sociaux et territoriaux, qui, on le sait, provoque des comportements radicaux chez les jeunes, la réforme va détruire l’enseignement supérieur technologique. Les concepteurs de la réforme ont refusé de prendre en compte le rôle fonctionnel des maths. Il n’y a pas eu de communication vers le grand public, mais le besoin fonctionnel des maths était parfaitement analysé par des gens compétents que le ministre a choisi de ne pas écouter.

     

    Etats des lieux : mensonges, déni des vrais problèmes, et solution inadaptée

    Il y a trois mensonges institutionnels dans la communication liée au lycée général :

    • Le premier mensonge est qu’un lycée modulaire avec un choix parmi de nombreux modules est une solution adaptée pour améliorer l’orientation et supprimer la hiérarchie des filières : il n’en n’est rien. Et ceci quel que soit l’accompagnement pour l’orientation. Cette organisation rajoute du stress et renforce les biais sociaux et territoriaux et va conduire à terme à une destruction du potentiel technologique du pays.
    • Le deuxième mensonge était que le lycée tel qu’il était promis lors de l’annonce en janvier 2018 (3 choix libres de spécialités en 1ère parmi 11), puis tel qu’il a été promis en février 2019 (3 choix libres de spécialité en 1ère parmi 7) était réellement organisable. La réforme du lycée était bâtie sur des fausses promesses, connues depuis le premier jour, par tout celles et ceux qui ont déjà construit un emploi du temps de lycée.
    • Le troisième mensonge était la volonté réelle de mettre les moyens pour accompagner l’orientation. Les 54 heures promises dans l’année n’ont pas été abondées, il fallait les prendre dans la « marge ». C’est ce que j’appelle la technique de la « marge magique ». Dans la communication du ministère, la marge sert à tout. Cependant dans la réalité de l’établissement, elle ne peut servir qu’une fois. Il y a bien eu deux professeurs principaux mais elles et ils n’étaient pas formés et on leur a demandé de mentir aux élèves sur les possibilités réelles, ce qui les mettait dans une situation, plus qu’inconfortable.

    Par ailleurs, le premier problème du lycée professionnel, technologique et général n’est pas la frustration des enseignants de la filière L « littéraire », qui voient partir les élèves les plus intéressés par la littérature vers le bac S, bac généraliste faussement appelé scientifique. Je comprends leur frustration quand elles et ils qui doivent ramer pour créer des dynamiques dans la classe, et avoir des classes de L « littéraire » moins intéressées par la littérature que les élèves des classes de S « dite scientifiques ». Cependant, le principal problème des lycées est l’orientation vers les filières professionnelles. Ce sont des jeunes à qui on a interdit l’accès au lycée général et technologique à cause de leur niveau en « expression écrite » et dont la moitié d’entre eux sont en souffrance depuis la 4ème car, à cause de cette lacune, ils sont incapables de réussir les devoirs y compris quand ils ont acquis les concepts de la matière. L’affectation dans une filière du professionnel ne se fait pas sur la motivation pour les métiers possibles après la formation, mais sur les notes. Il y a une hiérarchie implicite des filières du professionnel en fonction des notes du dernier admis. Celle-ci a longtemps été niée. La communication actuelle pour valoriser l’enseignement professionnel n’est que la poudre aux yeux, tant qu’on ne sera pas capable d’affecter un élève dans une filière en prenant compte de sa motivation. D’autant, plus que les heures de Français-Histoire ont été diminué de 15% alors que c’est la dernière chance pour les élèves les plus faibles à récupérer des lacunes qui handicaperont leur possibilité de promotions et de participer à la vie de la société, toute leur vie.

    Le fait que les bons et bonnes élèves qui n’ont rien contre la physique choisissent la filière S crée des déséquilibres qu’il convient de ne pas nier. Les élèves stratégiques pour leur avenir n’approfondissent pas la filière dont ils auraient envie, mais choisissent la seule filière qui garde toutes les portes ouvertes. Cependant, le principe de la solution plébiscitée par les groupes de pression qui consistait à rajouter des matières littéraires et diminuer la part scientifique de la filière S a, au fil du temps, amplifié les dysfonctionnements plutôt que le contraire. La filière S devenant plus généraliste, elle devenait plus désirable pour les élèves qui souhaitaient se garder toutes les portes ouvertes après la Terminale. Le seul gagnant était la technostructure de l’EN qui pouvait ainsi résoudre le problème de pénurie de profs de maths et sciences. Les universitaires littéraires savouraient la dévalorisation symbolique des scientifiques, mais cette satisfaction était de courte durée puisque la solution rajoutait des déséquilibres au lieu de les supprimer. La réforme en cours ne résout rien : il y aura les élèves qui prendront l’option maths et les autres.  L’analyse du besoin pour un nouveau lycée était de faible niveau. Il n’y a eu, ni vérification de faisabilité, ni validation rigoureuse de solutions.

     

    Le déroulement de la réforme du lycée Blanquer

    En novembre 2017, le ministre Jean-Michel Blanquer a chargé Pierre Mathiot, un universitaire non-scientifique, de faire une étude sur le lycée général et technologique et de proposer une réforme.  https://www.education.gouv.fr/cid125542/bac-2021-remise-du-rapport-un-nouveau-baccalaureat-pour-construire-le-lycee-des-possibles.html Le rapport était tout à fait honorable. Pour l’organisation du lycée, il prévoyait 16 majeures (7 Majeures « sciences et technologies », 3 majeurs « sciences et ingénierie » et 5 majeures « lettres et humanités ». Ces enseignements seraient complétés par des Mineures.

    L’organisation du nouveau Baccalauréat était floue.  Cependant, il y avait de nombreux points positifs. L’importance des STEM (Sciences, Technologie, Ingénierie et Mathématiques) était en bonne place. Il conseillait de traiter dans un même ensemble les bacs technologiques et les bacs généraux.  L’organisation était beaucoup plus faisable que le lycée finalement retenue par Blanquer. En effet, pour l’organisation de l’établissement, il suffit d'appliquer la règle : une classe=une Majeur.  Et est possible d’envisager de regrouper les classes sur certaines plages horaires pour mettre en place les « Mineures ». Les possibilités de choix auraient dépendu de la taille du lycée mais les enjeux pour l’orientation étaient facilement explicables.  Cependant un petit lycée avec 5 classes n’aurait pu proposer que le même nombre de Majeures que Séries aujourd’hui. En revanche, l’organisation ne supprimait nullement la hiérarchie des filières, Visiblement, Mathiot n’avait pas pris en compte dans son analyse le mécanisme de hiérarchisation des filières que je rappellerai plus loin dans le texte. Le rapport Mathiot aurait pu être une base de départ pour appliquer la méthodologie connue depuis et aurait abouti à une solution acceptable.

    Quelques semaines après, Blanquer annonçait sa réforme, qui d’après ses dires, s’appuyait sur le rapport de Mathiot. Il n’en était rien. Il a ressorti une réforme qui étaient déjà dans les cartons depuis plusieurs années qui avaient deux avantages. Le premier avantage est d’avoir un haut niveau d’acceptation de deux des quatre courants du système éducatif. Je parle des groupes d'intérêts qui bloquent le système éducatif depuis 30 ans. Le deuxième avantage est qu’elle aurait dû diminuer la part des maths et donc résoudre le problème de pénurie de profs dans cette matière. Pour Blanquer, ce n’était pas un problème qu’elle était inorganisable telle qu’elle a été promise et que son intérêt réel n’ait pas fait l’objet d’une validation. Je rappelle que toute les réformes du lycée ont été faites par consensus entre les groupes d’intérêt et ont renforcé les déséquilibres. Celles-ci sont sommairement décrites dans le paragraphe l’incapacité de prendre en compte les retours d’expérience des précédentes tentatives.

     

    Une réforme bâtie sur les jeux de pouvoirs qui bloquent l’Education Nationale

    On s’appuiera ici sur une analyse qui a été présentée lors d’un congrès européen de systémique (Gignoux-Ezratty, 2018). Les personnes qui s’intéressent à l’Education nationale en France se sont autoorganisées en quatre courants de pensée, qui jouent ensemble à un jeu de pouvoir complexe dont les perdants sont les élèves issus de milieux modestes. Ces groupes sont formés d’associations, de syndicats d’enseignants, de communicants en pédagogie, et ont des sympathisants dans les partis politiques ou chez des citoyens et citoyennes impliqués qui s’intéressent à l’école. Ce sont : la technostructure de l’Education nationale, les autoproclamés-progressifs, les élitistes paradoxaux, les élitistes assumés. Il existe des accords implicites de « respects du fonds de commerce » de chacun des  autres groupes. Lisez la communication pour comprendre la puissance des accords implicites entre ces groupes. Ce jeu de pouvoir a pour conséquences que toute réforme est conditionnée par la conservation du terrain de jeu des forces en présence et donc augmente les inégalités. http://aes.ues-eus.eu/aes2018/aes8-12_Veronique-Gignoux-Ezratty.pdf La réforme du lycée général de Blanquer ne fait pas exception.

    La « technostructure de l’Education nationale » regroupe les dirigeants et les bureaucrates de l’Education nationale. Ce groupe utilise de manière systémique les injonctions paradoxales (consignes impossibles à mettre en œuvre) pour mettre en situation d’incapacité de réagir les enseignants. Ce groupe utilise les mécanismes classiques des bureaucraties et les mécanismes émergents encore plus néfastes de management par le chiffre. Leur but est d’améliorer les « critères » de la cour des comptes quel que soit les dégâts pour le pays, le personnel de l’Education nationale et les destins des élèves. Leur technique est l’échange d’avantages avec les trois autres groupes. Blanquer connait parfaitement les codes de ce groupe dont il a fait partie.

    Les « autoproclamés-progressifs » sont les personnes qui veulent faire évoluer l’école et qui se coordonnent pour promouvoir le même modèle. Ils ont longtemps été déconnectés des études sérieuses, et ne prenaient pas réellement en compte les particularités des enfants ayant des difficultés d’apprentissage. Ils sont utilisés par la technostructure qui les aident à proposer des pédagogies inefficaces dans le but de créer des injonctions paradoxales qui seront utilisés par la suite.

    Les « autoproclamés-progressifs » sont les personnes qui veulent faire évoluer l’école et qui se coordonnent pour promouvoir le même modèle. Elles ont longtemps été déconnectés des études sérieuses, et ne prenaient pas réellement en compte les particularités des enfants ayant des difficultés d’apprentissage. Les plus dogmatiques d’entre eux et elles sont parfois utilisés par la technostructure pour donner une crédibilité à des pédagogies inefficaces dans le but de créer des injonctions paradoxales qui sont utilisés par la suite pour faire taire les enseignants et enseignantes.

    Les « autoproclamés progressifs » comprennent les syndicats Unsa-fsu, sgen cfdt, et diverses associations.

    Les « élitistes paradoxaux » sont ceux qui veulent garder un enseignement qui s’adresse à la première moitié de la classe après le CE2 (élèves de 9 ans) et qui imposent de penser le dispositif d’orientation scolaire pour favoriser celles et ceux qui ont acquis des compétences en expression littéraire accessibles que par 40% de la population.

    Les « élitistes assumés » sont ceux qui veulent une diversité de parcours beaucoup plus tôt, dès la 6e pour certains, et revenir à la pédagogie d’autrefois qu’ils ont idéalisée. Ce courant est très minoritaire chez les enseignants et dans la société civile impliquée, mais il porte des croyances très partagées dans le grand public.

    Blanquer a remis au goût du jour la technique qui a fait son succès quand il était Dgesco de Chatel. Il a mis en place non pas une réforme bâtie sur une démarche rigoureuse à partir du rapport qu’il a commandé à Pierre Mathiot. Il s’est désintéressé du rapport Mathiot et a organisé la réforme voulue depuis 10 ans par les autoproclamés progressifs. http://blog.educpros.fr/claudelelievre/2018/01/02/en-attendant-mathiot-quid-des-9-propositions-du-15-janvier-2009-dun-collectif-de-19-organisations/ Qu’importe que toutes les réformes voulues par ce groupe aient rajouté des tensions entre l’expression écrite et les maths et ont augmenté les délits d’initiés de l’orientation.

    Les syndicats du personnel de Snpden a accepté de nier les contraintes d’emploi du temps qui rendaient la réforme inorganisable telle qu’elle était promise. Je vous laisse voir ce qu’ils ont eu en échange.

    Le Snes était satisfait de la diminution de la place des mathématiques. La rivalité entre les disciplines a toujours été son fonds de commerce. Leur stratégie est toujours de laisser faire les premières phases des réformes puis organiser le mécontentement. Ils ont choisi dans un premier temps de nier les contraintes de construction d’emploi du temps. Pour moi, il s’agit d’une erreur stratégique car cela aurait été plus efficace de commencer la contestation avant.

    Cette réforme avait trois problèmes :

    • La réforme est bâtie sur le dogme inadapté de l’orientation progressive dans son silo,
    • Le rôle fonctionnel des mathématiques pour les études supérieures n’a pas été vu,
    • Les choix réels de triplettes de spécialités seront environ 10 fois plus faibles que ce qui avait été promis par le ministre lui-même. Ces limites proviennent des contraintes de construction des emplois du temps. Elles étaient anticipables dès le premier jour. Cette faiblesse structurelle de l’offre crée des inégalités territoriales, mais aussi sociales

    Chacun de ses problèmes auraient été rédhibitoire, si les concepteurs de réforme étaient passés par les étapes classiques d’un projet de changement : « vérification de la faisabilité », « vérification pour chaque « partie prenante » de l’impact de la solution retenue et de ses variantes », « validation du projet ». Ce qu’ils n’ont pas fait.

    Mais qu’importe, la finalité n’était pas de faire une réforme utile au pays, mais de faire une réforme qui diminue les coûts. Pour les deux premiers problèmes, il s’agit de sujets complexes et les personnes qui les ont bien analysées n’ont pas les moyens de communiquer vers le grand public. La technostructure de l’EN et le ministre ont choisi de ne pas les écouter et de les faire taire.

    Pour le dernier point, le ministre a tactiquement joué la montre, espérant que les fausses promesses ne seraient dévoilées que quand il serait trop tard pour revenir en arrière. Aujourd’hui les professeurs et professeures principaux ont toujours l’ordre de mentir aux élèves et de leur proposer de mettre en place une stratégie pour leur avenir, alors qu’une grande partie des demandes des élèves ne seront pas satisfaites.

     

    L’arc-boutement sur le dogme de l’orientation progressive dans son silo

    Je vous invite à regarder les pages web du Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire).  En particulier les vidéos de la conférence de comparaisons internationales qui a un lieu le 8 & 9 novembre 2018. http://www.cnesco.fr/fr/education-a-lorientation/paroles-dexperts/eduquer-a-lorientation/, ainsi que les préconisations du Cnesco. http://www.cnesco.fr/fr/education-a-lorientation/preconisations-du-cnesco/

    Le Cnesco propose une orientation tout le long de la vie, et une sensibilisation à la connaissance de soi et à la connaissance du monde du travail dès le primaire. L’un des principes essentiels est : « Permettre des parcours individualisés plutôt que des orientations définitives et des parcours fortement séparés : développer les passerelles et les possibilités de retour en arrière. »

    Le mécanisme psychologique de l’orientation consiste à se construire une représentation du monde des adultes en général, du monde du travail pour un métier donné et la représentation de soi dans l’exercice de ce métier. Les éléments à prendre en compte et à anticiper sont tellement nombreux qu’ils sont impossibles à appréhender globalement. Je dirais entre 0,5% et 4% des connaissances nécessaires sont appréhendées lors de la prise de décision. Les connaissances de la famille sur le domaine professionnel visé, sur le fonctionnement des études supérieures, et sur les règles du monde du travail expliquent les inégalités des jeunes sur la capacité à se projeter dans l’avenir.

    C’est ce qui explique l’utilité des visites d’université, les visites d’entreprise, les stages en entreprises et toutes les opérations de tutorat, plus particulièrement celles qui impliquent la famille en même temps que le jeune homme ou la jeune fille.

    Un an est insuffisant pour se construire une représentation de l’avenir. Ce qui explique que toutes les solutions où on teste pendant 20% du temps plusieurs solutions pour faire un choix ne marche pas. Par il n’y a pas d’engagement psychologique du jeune. On appelait cela, les présentations « vitrines ».

    Le principe a fait l’objet d’une expérimentation en lycée professionnel. Ce sont les « 2ndes de champ ». Un rapport rédigé en mars 2018 par des deux inspecteurs généraux de l’EN, et publié en mars 2019, soit un an après, n’y a vu des biais négatifs avec un seul intérêt : des économies de gestion. http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2019/03/

    Ce qui n’a pas empêché Blanquer de généraliser les « 2ndes de champ » dans son lycée professionnel. Doit-on former des élèves estampillés bacheliers avec un coût minimum, où des élèves ayant des compétences qui lui seront utiles dans sa vie en réfléchissant au juste coût ? Les actions de Blanquer semblent être en contradiction avec l’intérêt du pays.

    La spécialisation progressive n’était pas dans les propositions de Mathiot, mais elle était dans les 9 propositions de janvier 2009, qui ont servi de base pour la réforme Blanquer. (document déjà cité plus haut).

    Ce que Blanquer et les « stratèges de la réforme » n’avaient pas vu est que 9 ans après cette rédaction, le paradigme dominant dans la société civile à tendance sociale, de droite comme de gauche, avait évolué. Le courant dominant n’était plus l’orientation progressive dans un silo mais « un parcours de vie avec possibilité de réorientation . Penser qu’un jeune homme ou une jeune fille de 15 ans puisse être suffisamment mature et informé pour choisir, ce qui est bien pour lui ou elle dans 6 ans alors qu’à cette date, il ou elle aura évolué en maturité est évidemment une vue de l’esprit.

    Cependant, Blanquer a fait le choix de reprendre le paradigme obsolète de l’orientation progressive qui devrait permettre de faire des économies en retardant les spécialisations. Cette stratégie avait marché avec le lycée de Chatel.

    Pour faire passer la pilule, il a promis une attention soutenue pour l’orientation, avec deux profs principaux en Terminale et 54 heures par an consacrées à l’orientation. Son discours est bien cadré, cependant les heures n’ont pas été données. Il faut les prendre sur la marge qui sert aux dédoublements de classes, et autres.. Certains établissements ont suivi les consignes d’autres non.

    Il faut se rappeler que l’accompagnement à l’orientation est un grand classique pour faire diminuer la semaine du lycéen. La réforme Chatel avait prévu deux heures AP, accompagnement personnalisé. Les inspecteurs qui ont pris leur bâton de pèlerins pour vanter la réforme parlaient de détriplement de classe : 6 heures DHG et des groupes de douze élèves. Les parents ont applaudi, Il y a eu des dédoublements la première année avec une dépense en heures du même niveau de celles enlevées à semaine des lycéens. Quelques années plus tard l’accompagnement « personnalisé » était en classe entière de 35 élèves sur une heure quand il restait en place. Le résultat a été une diminution des heures destinées à la semaine des lycéens. Il faudra s’attendre à une technique identique. Comment un enseignant qui a dans la plupart des cas une connaissance faible des règles de l’entreprise peut-il aider un jeune à s’imaginer dans une situation de travail ? Réponse= il ne peut pas. Les enseignants ont échoué à donner du contenu à l’accompagnement personnalisé sous Chatel. Il n’y a aucune raison que cela soit différent. Je rappelle que le Dgesco du ministre Chatel était un certain Jean-Michel Blanquer.

    Aujourd’hui, il y a une quasi-unanimité de celles et ceux qui aident les jeunes à bien s’orienter qu’il faut voir une orientation par essais-erreurs. On choisit la dominante que l’on a envie d'explorer et on approfondit les savoirs et la connaissance des métiers et du domaine, quitte à prendre une année sabbatique et faire un service civique. C’est comme cela que le jeune apprend à interagir avec des vrais femmes et hommes dans la vraie vie peut observer des vrais comportements et ainsi savoir si cela lui convient.

    Cette vision suppose :

    • de donner du temps à approfondir le domaine que l’on a envie d'explorer (une seule Majeure ou dominante).
    • De permettre de changer d’orientation à tout jeune qui est prêt à faire des efforts pour rattraper les manques parce qu’il n’aura pas eu les mêmes parcours que les autres jeunes de sa formation.

    La réforme du lycée de Blanquer ne le permet pas.

    A chaque choix d’orientation, les lycéens sont stressés. L’ajout d’étapes rajoute du stress. La faiblesse des passerelles pour changer d’orientation et le manque de lisibilité des conséquences de ses choix sont des facteurs de stress des élèves. Comme les familles issues de classes dominantes ont l’information par leur réseau, il s’agit d’un facteur d’inégalité.

     

    L’incapacité de prendre en compte les retours d’expérience des précédentes tentatives

    Il y a eu plusieurs tentatives de réforme du lycée auparavant se basant sur un consensus entre les fonds de commerce des courants décrits plus haut. Aucune n’a eu les résultats attendus. Il y a eu des analyses des causes de ces échecs. Aucun de ces retours d’expérience n’a été utilisé par Blanquer.

    Le premier à chercher de s’en servir des attentes des réformistes pour diminuer les coûts du lycée a été Darcos en 2009. Il a dû abandonner pour des raisons de faisabilité des emplois du temps de 2nde. Pour l’anecdote, pour justifier sa réforme, Darcos a dit qu’il allait s’inspirer du lycée finlandais car la Finlande faisait un excellent score au test PISA (organisé par l’OCDE). Le lycée finlandais, d’après Darcos, supprimait le redoublement, proposait des modules avec une grande variation de choix, et supprimait la hiérarchie par les maths. Celles et ceux qui ont pris le temps de vérifier se sont aperçus que c’était du pipeau absolu. Le test PISA ne prouvait rien car le test concernait des élèves de 15 ans et donc avant que les élèves mettent les pieds au lycée. Le lycée était très sélectif et éjectait vers le professionnel au bout d’un an, les élèves trop faibles pour avoir une chance raisonnable de réussir. Il était toléré de faire les parcours en un an de plus ce qui équivaut à un redoublement. Et cerise sur le gâteau, le lycée propose deux parcours de maths. Il est possible d’avoir un bac sans maths, un bac avec maths niveau normal et maths niveau avancé.  Les possibilités de choix de parcours étaient en réalité assez restreintes, et moindres que les filières technologiques et générales du bac français.

    Darcos a été contraint d’abandonner sa réforme du lycée parce les concepteurs de la réforme n’avaient pas vu que le choix de 2 modules d’exploration en 2nde parmi 17 fait 17x16/2 soit 136 possibilités. Il était impossible de déterminer quel lycée proposerait quels modules dans les délais qui restaient. Les lycéens ont manifesté très opportunément pour donner un prétexte. Cependant curieusement, il n’y a pas eu de remise en cause du modèle par ces concepteurs alors que cet essai aurait dû faire prendre conscience qu’il y a une limite du nombre de modules possibles en parallèle due à la construction des emplois du temps. Cette limite a même été sciemment niée par les syndicats du personnel de l’Education Nationale pour aider la promotion du lycée de Blanquer. Or si les syndicats UNSA et Sgen-CFDT étaient connus à l’époque de mettre un point d’honneur à surfer sur les rêves de leurs sympathisants sans aucune démarche sérieuse de validation de la faisabilité et de l’intérêt de la solution vantée, ce n’est pas le cas du SNES (autre syndicat d’enseignants) et de la SNPDEN (le syndicat des personnels de direction de l’Education nationale). La stratégie de déni de réalité de ces derniers sera analysée plus loin dans ce texte.

    Le ministre Chatel a organisé en 2010, une réforme du lycée plus classique, aussi bâtie sur de fausses promesses. La communication promettait de pouvoir changer plus facilement de filières entre L, ES et S. Il s’agissait d’un mensonge, le nouveau lycée permettait ni plus ni moins de changer de filières que le précédent. En revanche, le retour d’expérience des enseignants en universités dans les filières scientifiques étaient assez inquiétants : de nombreux élèves ne maîtrisaient plus le mécanisme de la démonstration. Les programmes de S faits pour donner une culture générale, plutôt que faire acquérir la rigueur des sciences et la diminution des heures de sciences étaient en cause.  Cependant, curieusement il n’y a pas eu de remise en cause du modèle. Pourtant, avec la pénurie attendue de matières premières stratégiques et le changement climatique, l’économie française devra avoir besoin de compétences pour organiser avec efficacité les changements inévitables de son économie. Suite à ce constat, un groupe informel de personnes impliquées dans les associations d’enseignants ou les sociétés savantes scientifiques ont développé une compréhension des savoirs scientifiques nécessaires, leur articulation avec les compétences de types littéraires et des enjeux associés. Les personnes en charge de la réforme du lycée général de Blanquer ont organisé volontairement leur non-écoute.

     

    Le déni du rôle structurant de l’expression écrite et des mathématiques

    Voici le schéma qui explique la hiérarchisation des filières. Il y a deux compétences structurantes qui vont limiter la capacité de réussir les études supérieures : « l’expression écrite ou la présentation des connaissances suivant certains codes » et « les mathématiques ». Ces deux manières ont trois niveaux et pour avoir le plus de portes ouvertes pour les études supérieures, il convient d’avoir le plus haut niveau possible sur ces deux matières indépendamment du domaine (filière, dominante ou majeure suivant le vocabulaire) choisi.

     

    Hiérarchisation des filières Hiérarchisation des filières

     

    La communication de l’éducation nationale est totalement hypocrite. « Orientez-vous en fonction de la matière qui vous intéresse et non en fonction du niveau atteint sur les « compétences structurantes » Le problème est, quand on le fait, dans la plupart des cas, on se fait avoir. Les possibilités d’orientation sont moindres. Les passerelles ne sont pas systématiques, et les priorités sont moindre quand on arrive après une réorientation.

    Donc, aujourd’hui, il existe un premier tri à l’entrée du collège, ceux et celles qui arrivent en 6ème en maîtrisant insuffisamment la lecture et l’expression sont condamnés à être devant des devoirs qu’elles ou ils n’arriveront pas à faire et de ne pas recevoir l’aide suffisante. (Les enseignants et enseignants ne sont pas en cause : ils ont une mission impossible). Puis il y a un deuxième tri après la 3ème, vers l’enseignement professionnel pour celles et ceux qui n’ont pas le niveau en expression écrite (qui étaient pour la plupart déjà repérés depuis la 6ème voire depuis le CE1). Puis un troisième tri par élimination toujours sur l’expression écrite vers les filières technologiques.

    Le tri sur les maths concerne les 40% qui ont eu le droit aux filières générales, rescapés de la sélection sur l’expression écrite. Les élèves qui veulent faire HEC vont en S et non pas en SES, car ils savent que les outils mathématiques appris en S leur seront utiles pour la réussite de leurs études. Il aurait suffi de proposer une option « mathématiques » avec les exigences identiques qu’en S pour qu’ils se dirigent vers SES. La réforme Chatel a préféré transformer la physique de S en une culture générale pour celles et ceux qui vont faire HEC puis l’ENA. Il est évident qu’elle a eu un impact nul sur le choix des filières et même sur les possibilités de changer de filières … comme je l’avais prédit dès 2009.

    Il est nécessaire d’avoir trois niveaux en maths :

    • Un niveau de base cadrée pour les littéraires qui seront professeurs des écoles,
    • Un niveau normal (niveau 1) pour celles et ceux qui ne veulent pas approfondir les maths mais l’utiliseront comme outils,
    • Un niveau approfondi (niveau 2) pour celles et ceux qui ont envie d’apprendre la logique mathématique.

    Les trois niveaux en Français -Histoire-Géo sont ceux du bac professionnel, du bac technologique et bac professionnel.

    La seule solution est de choisir séparément « le niveau en expression écrite », le « niveau en maths » et la « majeure ou la dominante ». J’appelle « dominante ou majeure » l’ensemble de matière technique correspondant aux « SES », « L » ou « STI2D », chaudronnerie, etc.. C’est ce que fait l’Ontario, la Finlande au moins pour les filières générales.

    Tout ne sera pas possible car il y a des contraintes d’emploi du temps. Il y aurait eu le choix entre deux niveaux de maths en ES, celui actuel et celui de S, il n’y aurait pas eu de hiérarchie des filières. Il y a eu un déni organisé sur ce point. Je pense la motivation de la « technostructure de l’EN » pour nier ce mécanisme était de pouvoir faire des économies. Pour les « auto-proclamés progressifs » et les « élites paradoxaux », la motivation était de conserver les dysfonctionnements dont ils tirent leur pouvoir.

    L’organisation proposée par Blanquer ne change rien au mécanisme hiérarchisation des filières. Les élèves qui feront (Tronc commun du bac général qui est correspond au niveau max de l’expression littéraire) et (spécialités maths) seront au sommet de la hiérarchie des ensembles de spécialités et filières.

    En revanche, elle va diminuer les capacités logiques et mathématiques de la population française. Ce qui semble plus que malvenu car le monde et donc la France va être confronter à des changements climatiques et à une pénurie de matière première.  La France a besoin de techniciens, techniciennes, ingénieurs, ingénieures et scientifiques pour gérer les changements de demain. Ils ont besoin de personnes qui connaissent la rigueur d’une démonstration pour éviter la gestion des changements de l’économie et de l’industrie soit à l’image de la réforme du lycée.

    Un grand nombre d’enseignants des écoles issus de filière littéraire n’aiment pas les maths et ne font pratiquement jamais de cours de sciences. C’est une explication du faible niveau en maths à la sortie de primaire des petits Français. Comme faire aimer quelque chose qui nous rappelle un échec. L’absence totalement de maths pour celles et ceux qui ne choisiront pas l’option maths multipliera le nombre de citoyens incapables d’un calcul d’ordre de grandeur

    Le lycée de Blanquer propose, soit des maths niveau S, soit pas de maths du tout. Or, pour un grand d’études supérieurs dont les sciences économiques, les sciences sociales, la majorité des formations technologiques, il est nécessaire d’avoir assimilé un certain nombre d’outils mathématiques et de maîtriser la logique.

    Les élèves seront obligés de prendre des maths à un niveau de S y compris s’ils n’en n’ont pas envie. Et s’ils n’y arrivent pas, il faudra qu’il prenne des cours dans des officines privées. Et je ne doute pas qu’elles vont fleurir, puisqu’il y a un besoin. Ces officines proposeront la validation du niveau intermédiaire en maths qui sera exigé par des certaines études supérieures modérément sélectives. Le besoin fonctionnel est làet la nature a horreur du vide. La vraie vie finit toujours de prendre le pas sur les affirmations dogmatiques.

    C’est d’autant plus inacceptable qu’un groupe de personnes avaient développé une compréhension du besoin en maths et en sciences. Mais, Blanquer a fait le choix de ne pas les écouter, et Villani a choisi de privilégier la politique à par rapport à l’intérêt du pays et celui des jeunes qui s’appuient sur les maths pour réussir.

     

    Les inégalités territoriales et limitation de choix

    La réforme a été conduite en dehors de toute rigueur méthodologique et en s’appuyant sur des fausses promesses.

    Blanquer s’est appuyé sur la proposition 1 des propositions de janvier 2018 qui ne correspondait pas aux conclusions du rapport de Mathiot.  Son principe est : « 1) L’organisation du lycée est modulaire : modules communs et modules d’exploration en seconde ; modules communs et modules de spécialisation progressive en cycle terminal. » http://blog.educpros.fr/claudelelievre/2018/01/02/en-attendant-mathiot-quid-des-9-propositions-du-15-janvier-2009-dun-collectif-de-19-organisations/

    Nous avons déjà vu que l’orientation progressive dans son silo était aujourd’hui considérée comme inefficace par la communauté des personnes investies pour aider les jeunes à bien s’orienter. C’est lié à des incohérences rédhibitoires avec les connaissances de la psychologie du jeune quand il devient adulte.

    Nous avons vu que la grille de lecture pour analyser fonctionnellement une proposition de choix est :

    • Niveau en expression écrite (capacité de rédiger suivant des codes)
    • Niveau en maths
    • Domaine approfondi (connaissance de fondamentaux, monde social et monde du travail qui lui est lié),

    L’approfondissement de plusieurs domaines pour faire un choix est une erreur méthodologique car le jeune peu motivé s’investit dans rien. Or c’est à celui-là que l’organisation du système éducatif doit s’adresser en premier, pas à celui qui peut compenser les faiblesses de celui-ci.

    Le principe du lycée de Blanquer était au début :

    • En seconde, l’élève choisit deux enseignements d’exploration parmi un choix limité (ce qui n’est pas très différent à ce qui était avant)
    • En première, l’élève choisit 3 spécialités dans un choix de 11 spécialités,
    • En terminale, l’élève abandonne l’une des spécialités et donc il suit donc deux spécialités.

    Blanquer lui-même avait vanté l’ouverture des choix " Vous aurez la liberté de choisir en suivant vos goûts et vos centres d'intérêts"

    Pourtant, dès le premier jour nous savions que c’était un mensonge, à cause du précédent de la réforme Darcos de 2009, arrêtée à cause d’une impossibilité d’organisation. Il s’agit du concept mathématique de combinaison : 3 choix parmi 11 cela fait 165 possibilités. Vérifiez si vous ne me croyez pas.

    Par ailleurs, même si nous avions la naïveté de penser que l’Etat va être très généreux en moyens, il n’est pas envisageable d’avoir des groupes inférieurs à 20 élèves dans chaque spécialité. Aussi sans voir le détail des problèmes d’organisation, dès le premier jour nous savions que les petits lycées du monde rural seraient mal servis.

    Les syndicats d’enseignants qui auraient dû alerter, ont choisi de nier ce point. Il s’agit pour moi d’un comportement irresponsable.

    Une première étape a constitué à mener une approche quantitative. La faisabilité des emplois du temps n’a pas été abordé, mais il a été vérifié que les aspects quantitatifs étaient acceptables. Ce qui a conduit à passer d’une promesse de 11 spécialités à une promesse de 7 spécialités au choix. Mais, trois choix parmi 7 spécialités, donne 35 combinaisons. Les personnes ayant déjà mis en place des emplois du temps savaient que c’était toujours impossible. Les combinaisons les moins demandées ne seront pas proposées. Les syndicats ont continué leur déni. Pour les syndicats de personnel dirigeant on peut trouver une logique d’intérêt corporatif, mais pas pour les syndicats d’enseignants.

    Pendant cette phase, la communication hors-sol du ministère a continué. « Pas de problème, les élèves pourront suivre ses cours dans un lycée et une spécialité dans un autre lycée ». Ce qui est évidemment infaisable. Le nombre de « barrettes » possible sur une même classe dans un même établissement est très limité. Faire des « barrettes » entre deux établissements ayant des contraintes d’organisation irrésolubles est clairement une vue de l’esprit. Une « barette » est un terme technique qui décrit l’alignement sur heure des emplois du temps pour permettre aux élèves de plusieurs classes d’assister à un même cours. C’est une erreur classique des concepteurs hors-sol d’organisation d’établissements de sous-estimer les contraintes pour l’application de cette technique, qui rencontre très vite des limites.

    La deuxième étape a eu lieu récemment, quand les élèves ont rempli leurs vœux réels. Les établissements ont essayé d’établir des emplois du temps sur cette base. Ils avaient beau essayer toutes les solutions, c’était impossible de construire les emplois du temps qui donnent satisfaction à tous. Je vous signale en passant que le problème sera plus crucial l’année prochaine, si la réforme est étendue à la Terminale qui confisquera des flexibilités d’emploi du temps aujourd’hui utilisées sur le niveau Première. Donc, les réalisateurs ou réalisatrices d’emplois du temps ont renoncé aux assemblages les moins demandés, et ont construit une solution basé un nombre limité de « triplettes de spécialités ».

    Certains ont eu une idée géniale pour améliorer la lisibilité de l’offre et éviter que les élèves s’imaginent un avenir sur des demandes inorganisables. Ils ont eu l’idée de faire choisir dans les « assemblages de spécialités » qui correspondent à celles qui seront proposées en prenant compte au mieux les attentes des élèves. Cette proposition a plu et a commencé de se mettre en place, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’elle n’était pas conforme à la communication ministérielle. Les « assemblages » ressemblait trop aux séries, et la réforme était justifiée par le dogme « les séries, c’est le mal ». On comprend d'ailleurs ainsi que les séries avaient une certaine logique.

    Le remplissage des vœux a mis les élèves devant la nécessité de choisir entre l’option maths ou pas d’option maths. Il y a des établissements où il y 40% de demande d’options maths et d’autres 80%. Cependant, il est apparu évident à tous les parents qui suivent la scolarité qu’il y avait un manque d’un niveau intermédiaire pour celles et ceux qui avaient besoin de l’outil maths, mais qui ne voulaient pas (ou ne pouvait pas) s’investir dans des maths de niveau exigeant. Si la réforme n’est pas remise sur le tapis pour proposer ce choix qui manque, on peut faire le pari qu’il sera proposé par des officines privées.

    Les masques sont tombés définitivement quand la note de la DGESCO du 6 mars 2019 est parue. Les affectations se feront en fonction des possibilités de l’établissement dans l’établissement où l’élève est affecté. L’élève de première fera des demandes les places disponibles et les notes décideront des spécialités qu’il pourra suivre.

    Les conséquences sont importantes car il est prévu que l’affectation dans des filières du Supérieure par ParcoursSup prenne en compte la filière qui a été suivie, filière dont l’élève n’aura pas vraiment le choix.  Les enseignants qui doivent aider à l’orientation sont chargés de présenter positivement les choses et inviter l’élève à demander ce qu’il a envie de faire et de nier la stratégie nécessaire pour avoir les meilleures possibilités pour l’avenir. Nous savons depuis longtemps les conséquences. Il y a ceux qui savent décoder tout seuls et les autres. C’est l’hypocrisie ressentie par les fausses promesses qui a déclenché les émeutes de 2005 et qui est la cause profonde de la radicalisation des certains jeunes. Ne voulant pas participer à cela les professeurs principaux ont démissionné en masse.

     

    En conclusion, une réforme à stopper d’urgence

    La réforme du lycée général de Blanquer a quatre défauts rédhibitoires :

    • Elle est basée sur l’orientation progressive dans son silo, alors que cette façon de voir est inefficace et rajoute du stress,
    • Elle ne prend pas en compte le rôle fonctionnel relatif de l’expression écrite et des maths pour la poursuite des études, alors qu’il s’agit du moteur de la hiérarchisation des filières qui ne sera donc pas supprimée.
    • Elle n’offre pas la diversité des niveaux en maths nécessaires pour les parcours supérieurs et détruira ainsi les compétences technologiques du pays. Vu les changements à gérer à cause de la pénurie annoncée de certaines matières premières et du changement climatique, ce choix met en danger à terme l’économie française.
    • Elle rajoute de l’hypocrisie dans le système d’orientation et des inégalités sociales et territoriales, alors que les inégalités et les hypocrisies de l’orientation sont les moteurs des comportements radicaux des jeunes.

    La seule solution acceptable est l’arrêt de la réforme. Ce ne sera jamais trop tard.

     

    Source  : https://blogs.mediapart.fr/viviane-micaud/blog/200319/comprendre-les-causes-du-desastre-du-lycee-general-de-blanquer?fbclid=IwAR0wVoemxNuyOwWhe9OR3uoX_pZMAFz73O167A1o269N7Ydwqe3f3cN1U3E


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